ENTRETIEN | MARIE-NOËLLE DÉCORET
Qu’est-ce que l’art ?
Je cherche à capter l’essence des gens et des choses. L’art en serait le filtre. Je ne fais finalement qu’assembler des idées, former des associations que je propose au regard, à la lecture, à l’écoute.
Et puis un jour vous vous êtes éloignée de la peinture.
J’ai longtemps pratiqué la peinture. Lorsque j’étais à Rome, on peut dire que j’ai croisé un magasin de mouchoirs, d’où la série sur ce support. Mon travail naît de rencontres, de coïncidences. L’occasion de circonscrire mon travail à l’espace le plus restreint possible. Les broderies qui s’en suivirent n’avaient d’autre site que celui du symbolique. Une occupation sans lieu privilégié qui prit la forme de poèmes réduits à leur plus courte expression. Le carré du mouchoir rappelle évidemment l’espace pictural. Du tableau, il ne reste qu’une toile vierge à usage domestique. Le souvenir de la peinture persiste, mais à distance.
Peu à peu, la photographie s’est invitée dans votre oeuvre.
La rencontre d’un médium, d’un matériau, va m’inspirer, générer en moi une réflexion. Du jour où j’ai eu un appareil photo de qualité entre les mains - à moi pour la première fois - j’ai eu envie de photographier l’intérieur des tunnels et de réaliser des autoportraits. Tout ce qui a trait à la photographie me touche ; j’ai un rapport très fort avec ce medium, son avènement, comme le langage qui s’y rapporte : la chambre, l’optique, l’ouverture, la vitesse, la lumière.
Comment définiriez-vous votre travail ?
Qu’il soit plastique ou photographique, mon travail fait toujours écho à la peinture. Que je procède par l’effacement ou par la mise en évidence, que je privilégie le blanc ou renoue avec la couleur, en brodant, en peignant ou en photographiant, je force le regard. Avec discrétion, je cherche à dessiller le regard pour que l’on ne puisse plus dire : « Ils ont des yeux mais ne voient pas ».
Dans l’œuvre de Marie-Noëlle Décoret, le portrait n’est pas un sujet en soi, il s’inscrit dans un processus qui interroge la façon dont la réalité est vue. Ce sont des portraits « à rebours » dans lesquels l’artiste détourne la vocation du genre et relativise la relation entre photographie et souvenir. Ils ne signifient ni l’absence, ni le souvenir, ni même un « contre-souvenir » selon la pensée de Barthes, car « l’objet » photographié n’a qu’une existence minimale par sa ténuité, par la disparition de sa carnation. L’œil est ici prééminent parce que c’est lui qui engloutit les formes, estompe leurs contours, ne laissant du réel que sa trace évanescente ; un évidement référentiel qui fait du portrait, l’incarnation visuelle de la photographie.
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